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Mécanismes prédictifs atypiques dans les TSA
Christina Schmitz , Chargée de recherche au CNRS, Centre de Recherche
en Neurosciences de Lyon (CNRL)
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Résumé de cette intervention effectué par Ruben MIRANDA MARCOS, Doctorant en neurosciences à l’Université Paris Sorbonne sujet de thèse portant sur la modulation des trajectoires développementales en fonction de traits autistiques en population générale.
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Mme Schmitz a basé son intervention sur les particularités des mécanismes prédictifs dans l'autisme. Les personnes avec TSA présentent des difficultés pour gérer les changements, et présentent des comportements répétitifs et des routines. Ces difficultés pourraient être en lien avec les capacités de prédiction et anticipation. En effet, le cerveau est toujours en train d’anticiper ce qui vient ensuite. Il génère un modèle du monde, prend des décisions sur cette base et met à jour le modèle en fonction de la rétroaction sensorielle. Le cerveau fait des inférences en continuité, fusionnant les attentes antérieures avec les conditions actuelles pour évaluer la probabilité des résultats futurs.
Les mécanismes de perception sont influencés par des facteurs sensoriels mais aussi par des informations à priori. Cela peut donner lieu à des erreurs de prédiction (en lien avec l’information contextuelle disponible). Ces erreurs de prédiction peuvent avoir lieu au niveau sensoriel, moteur et cognitif. Il existe une abondante littérature scientifique qui appuie les erreurs de prédiction spécifiques dans les TSA (Gomot et Wiker, 2011 ; Pellicano and Burr, 2012 ; Sinha et al., 2014 ; Lawson et al., 2014 ; Van de Cruys et al, 2014 ). Prédire est donc un processus dynamique qui nous permet de produire des perceptions à la fois justes et le plus écologiques possibles, ce qui nous permet d'optimiser nos interactions avec l’environnement. La capacité de prédiction nous permet d'interagir avec une motricité harmonieuse et fluide et comprendre le monde social et s’adapter aux changements. Donc, les mécanismes de prédiction favorisent l'adaptation à notre environnement physique, répondent à notre environnement social, et mettent du sens et de la cohérence au monde.
En effet, le monde social est souvent imprévisible. Les états mentaux des personnes ne sont pas constants. Et même s’il y a des constantes, la façon d’exprimer une émotion est personnelle à chacun. En fonction du contexte, une personne réagira de façon différente. La réponse à l’environnement social dépend d’un mélange de décodage des indices sociaux et de l’utilisation des représentations que l'expérience passée a permis de construire. Pour anticiper, le cerveau utilise des représentations sensori-motrices des caractéristiques du corps, du monde extérieur et de leur interaction.
Les personnes avec TSA présentent souvent des difficultés d’anticipation au niveau du comportement moteur (Kanner, 1968 ; Brisson et al, 2012 ; Landa et al, 2016 ; Ganglmayer et al, 2020). Grâce à des recherches cognitives avec des enfants, Mme Schmitz a apporté des épreuves sur le mécanisme de compensation des enfants avec TSA, qui plutôt que de mettre en œuvre un contrôle moteur anticipé, utilisent une stratégie de ralentissement du mouvement (Schmitz et al, 2003, Martineau et al, 2004). Les enfants avec TSA recrutent plus de ressources cognitives pour anticiper une épreuve motrice, et avant même de soulever un objet, les enfants autistes utilisent des ressources cérébrales considérables en anticipation de la perturbation à venir (Brun et al, en préparation). Lors d’une tâche d’apprentissage sensori-motrice, l’évolution de la performance indique des difficultés à apprendre chez les enfants TSA. Ces expériences font écho aux difficultés de construction des représentations sensori-motrices décrites dans la littérature (pauvreté des gestes décrite par Asperger en 1944 ; Mouvements répétitifs pour nourrir une représentation qui n’est pas mémorisée par Ornitz en 1973 et Maurer et Damasio en 1982 ; la pauvreté d’actions dirigées vers un but décrite par Lösche en 1990, et les difficultés de la locomotion avec pour but d’explorer l’espace décrit par Bullinger en 1989). Mme Schmitz conclut que dans l’autisme, la difficulté à construire des représentations sensori-motrices serait un frein à l’utilisation de mécanismes prédictifs dans le domaine moteur (Schmitz et Assaiante, 2008).
Au niveau sensoriel, Mme Schmitz nous a montré que les personnes avec TSA peuvent construire une perception sensorielle en fonction des a priori contextuels lors que l’environnement est stable (Sapey-Triomphe et al, en révision). Les adultes TSA utilisent tout autant que les personnes neurotypiques les informations sensorielles issues des régularités de l’environnement pour construire un a priori. L’ajustement à un changement de contexte se fait également, mais de façon plus lente et avec une résistance plus grande. Mme Schmitz conclut que l’utilisation de modèles computationnels permet une caractérisation des mécanismes prédictifs propres à chacun, à l’échelle de l’individu, vers des interventions et accompagnements personnalisés.
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Pour aller plus loin...
Martineau J., Schmitz C., Assaiante C., Blanc R., & Barthélémy C. (2004). Impairment of a cortical event-related desynchronisation during a bimanual load-lifting task in children with autistic disorder. Neuroscience letters, 367(3), 298–303. https://doi.org/10.1016/j.neulet.2004.06.018
Schmitz C., Martineau J., Barthélémy C., & Assaiante C. (2003). Motor control and children with autism: deficit of anticipatory function?. Neuroscience letters, 348(1), 17–20. https://doi.org/10.1016/s0304-3940(03)00644-x
Robic S., Sonié S., Fonlupt P., Henaff M. A., Touil N., Coricelli G., Mattout J., & Schmitz C. (2015). Decision-making in a changing world: a study in autism spectrum disorders. Journal of autism and developmental disorders, 45(6), 1603–1613. https://doi.org/10.1007/s10803-014-2311-7
Assaiante C., Mallau S., Viel S., Jover M., & Schmitz C. (2005). Development of postural control in healthy children: a functional approach. Neural plasticity, 12(2-3), 109–272. https://doi.org/10.1155/NP.2005.109
Sapey-Triomphe L. A., Centelles L., Roth M., Fonlupt P., Hénaff M. A., Schmitz C., & Assaiante C. (2017). Deciphering human motion to discriminate social interactions: a developmental neuroimaging study. Social cognitive and affective neuroscience, 12(2), 340–351. https://doi.org/10.1093/scan/nsw117
Assaiante C., Barlaam F., Cignetti F., & Vaugoyeau M. (2014). Body schema building during childhood and adolescence: a neurosensory approach. Neurophysiologie clinique = Clinical neurophysiology, 44(1), 3–12. https://doi.org/10.1016/j.neucli.2013.10.125
Musser G (2018) Does autism arise because the brain is continually surprised? Science Magazine. https://doi.org/10.1126/science.aat5429
Sinha P., Kjelgaard M. M., Gandhi T. K., Tsourides K., Cardinaux A. L., Pantazis D., Diamond S. P., & Held R. M. (2014). Autism as a disorder of prediction. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 111(42), 15220–15225. https://doi.org/10.1073/pnas.1416797111
Van de Cruys S., Evers K., Van der Hallen R., Van Eylen L., Boets B., de-Wit L., & Wagemans, J. (2014). Precise minds in uncertain worlds: predictive coding in autism. Psychological review, 121(4), 649–675. https://doi.org/10.1037/a0037665